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L’ogre Pacifique

Une note d’Alexandre

Je crois me souvenir d’une pieuvre. Une pieuvre et une bonne fenêtre météo pour s’en échapper, je crois. Et puis des griffes aussi.
Mais les ogres ont-ils des griffes ? Qui saura me le dire ? Alors un ogre avec des griffes est tout de même bien, pacifique. Comme tous les ogres, énorme, rugueux, affreux, il réserve toujours sa surprise qui le fait tant invité des contes.
Appelle-t-on fenêtre météo 25 nœuds de vent ? Appelle-t-on fenêtre météo un vent parfaitement de face ? Appelle-t-on fenêtre météo une houle courte et agressive ? Un véritable élevage de moutons d’écume ? Pourtant nous le vivons alors nous y croyons. Une heure de pagaie, deux heures, trois heures et puis (inaudible). Nous devons arrêter. À quoi cela sert-il de s’épuiser pour ne faire que du sur-place ? Cherchant un endroit et à la côte, attendons. C’est le prix que nous payons déjà depuis cinq jours pour affronter ces lieux, il faut croire que ce n’est pas suffisant. Sur-place mais qu’importe nous sommes têtus.
Devant nous le canal Union est encore long. J’ai l’impression que l’ogre veut jouer. Nous sommes arrivés sur son territoire et nous le chatouillons. Mais il serait bon qu’après son côté pile, ses griffes, énormes paluches, il nous montre son côté face, sa bouille joviale de bon géant.
Puis j’entends des voix. Il y a le bruit des vagues qui se brisent, le bruit du vent sur le visage, le bruit des tympans qui cognent, bouchés par le bonnet. Ma tête est une forge, la chaleur des muscles au travail, le froid des éléments et l’urgence de ne pas relâcher l’effort. Et puis c’est, tout proche, à quelques mètres derrière moi, au milieu du Seno Union. Je me retourne et découvre avec effarement trois visages qui me hurlent des choses que je n’entends pas. Ils sont à quelques mètres, l’impression de pouvoir les toucher. Trois personnes accroupies à la proue d’un bateau de pêche d’une douzaine de mètres, le San Juaquin. Je hurle à Inti d’allumer la VHF et leur fais signe.

Premier coup avant l’entracte.

Inti : « Ils m’ont demandé si on avait besoin d’aide. Je leur ai dit que non. Ils nous proposent de nous avancer un peu plus loin. Tu dis quoi ? »
Moi : « Demande-leur si on peut monter les kayaks sur le pont, j’ai pas envie qu’ils soient à la traîne, c’est trop risqué pour eux. »
Inti : « Ils disent OK, pas de problème. »
Moi : « Alors on monte. »

Deuxième coup avant l’entracte.

Un des pêcheurs du San Juaquin, rigolard : « Si on m’avait dit qu’un jour j’allais aider des kawesqars, je ne l’aurais jamais cru. »

Troisième coup avant l’entracte.

Le capitaine du San Juaquin : « Dites donc, j’étais en train de raconter votre histoire à un copain par VHF et le capitaine du Victoria II est intervenu. Il propose de vous prendre à son bord. Il va plus au nord que nous, c’est un gros bateau de 20 mètres. Ça vous dit ? Il faut que je le prévienne pour qu’il nous attende. »

Samedi 13 juin : entracte.

Ce texte fait suite à La pieuvre d’Ultima Esperanza et se poursuit par Les nomades de la pêche.