Inti Salas Rossenbach
Ouest de Toulon, Marseille, 4-8 mai 2008
Dimanche 4 mai 2008
Le TGV me laisse en gare d’Avignon, où viennent me rejoindre en voiture Alexandre, Christophe et Frédéric pour continuer notre route ensemble vers Toulon. Toute la matinée, les trois compères avaient travaillé à obtenir des contacts qui pourraient nous louer des kayaks. Kayak, et non « kayak de mer »... disons que j’ai décelé une certaine fierté chez quelques pratiquants de kayak en mer quant à l’origine de cette embarcation maritime, qui n’est devenue fluviale que tardivement au cours de son histoire.
Une bière à l’ombre d’une terrasse dans le centre d’Avignon, nous examinons les quelques cartes marines que j’avais réussi à trouver. Je n’ai jamais navigué en Méditerranée, mes compagnons non plus, et aucun d’entre-nous n’a jamais pratiqué le kayak en mer. Un vrai baptême collectif, avec bénitier géant et salé, baptême laïc de mécréants aguerris.
Arrivés à Toulon, nous faisons route un peu au sud-ouest jusqu’à la Seyne-sur-Mer où un club devrait pouvoir nous louer des kayaks le lendemain matin.
La nuit venant, nous y tentons l’approche d’un hôtel bon marché sur le front de mer, une sorte de grand préfabriqué durable, décoré de nains de jardins en porcelaine rose et d’assiettes dorées, mais nous échouons dans notre entreprise... hôtel complet nous dit-on en nous regardant de travers : nous devons être de bien piètres clients. Ce sera le centre de Toulon.
Lundi 5 mai 2008
Dès le matin nous sommes au rendez-vous sur la petite plage, attendant Gilles, du "Club de la méduse", qui pourrait nous louer des kayaks. Tout se passe à merveille et, assez rapidement, nous embarquons. Premières sensations : excellentes pour ma part.
L’eau est salée, je suis en mer, je suis à l’aise. Je souffre depuis toujours d’une sorte d’appréhension irraisonnée à me trouver sous l’eau. La circonstance n’étant pas rare en rivière, en tant que débutant au moins, je me sens rarement à l’aise sur un cours d’eau douce. Mais là... grande, bleue et salée, majestueuse.
Paradoxalement, l’immensité de la mer me rassure. Rien au fond qui puisse m’accrocher, pas de « rappel », siphon, leptospirose ou autre sorcellerie qui, peut-être, rappelle en moi quelque Lorelei entraînant les marins au fond du Rhin... sans savoir ce que signifie d’être si triste... « Ich weiss nicht, was soll es bedeuten, Dass ich so traurig bin. ».
Le kayak me plait. Long, il file droit et ne se laisse pas perturber par le clapot. Nous arrivons rapidement aux abords des Deux Frères, en face du Cap Sicié, deux hauts îlots rocheux entre lesquels nous nous faisons un plaisir de passer.
La météo est conforme aux prévisions que nous avions consultées : peu de vent, peu de houle, soleil.
Le soir nous dînons en toute simplicité, pour reprendre le leitmotiv de Christophe : inénarrables magrets de canard confits de Mme Gimenez cuisinés sur la plage, accompagnés d’excellents champagne (Gosset 99) et vin, une véritable orgie sensorielle. Ne mourrez pas sans goûter ces magrets ; Christophe, j’en suis sur, vous donnera les coordonnées de la précieuse dame (contact@patagonia2009.com, sujet « Magrets », nous transmettrons).
Mardi 6 mai 2008
Même endroit, mêmes kayaks, même itinéraire. Nous allons un peu plus loin que la veille et déjeunons sur une plage qui n’est facilement accessible que par la mer.
Ces premières encablures en kayak confirment que je retrouve tout ce que j’aime en bateau : l’immense horizon, le monde à ma portée, l’inverse de la montagne oppressante ; l’interface, l’entre-deux, vent, mer, homme, point triple d’une fusion impossible ; la terre, l’arrivée, la mer si belle parce qu’elle ouvre la terre avec tendresse et empathie.
Mais le kayak présente un inconvénient majeur, l’absence de moyen de propulsion autre que les bras. Inconvénient qui pourrait bien être son panache. Je découvre cependant aussi ce qui semble être un grand avantage sur le bateau : la possibilité de l’isolement. Si l’on veut divaguer en paix, tracer son chemin ou faire des tours dans l’eau sans aucun souci de convivialité - fatiguant impératif, agréable liberté - la chose est possible tout en maintenant des distances de sécurité raisonnables avec ses compagnons.
Après déjeuner nous nous livrons à quelques exercices de débarquement / embarquement sur cote accidentée, par mer d’huile. Ces exercices, et les avis et conseils de Guillaume les jours suivants commencent à ébranler notre idée de partir en Patagonie avec des kayaks pliants, type Klepper ou Nautiraid : seront-ils assez résistants pour subir des accostages d’urgence, par grosse houle et sur des cotes rocheuses ? Si non, reste la fibre ou le polyéthylène... légèreté contre solidité. Nous n’en avons pas fini de nos choix technologiques. Pour ajouter à la confusion, j’hésite encore entre emmener un chapeau en paille ou un Borsalino que j’imperméabiliserai à la graisse de phoque.
Juste avant que nous ne rebroussions chemin, un vent d’est se lève, un petit force 3 Beaufort. J’en profite pour confirmer le caractère haché de la houle méditerranéenne. J’apprends à barrer le kayak, pagaie en dérive à l’arrière. Lorsqu’une crête déferle sur le pont arrière, le kayak lofe facilement (remonte au vent) et m’assoit dans le lit de la houle, ce qui n’est pas l’endroit le plus stable.
Comme en voilier, dès que l’on change de cap les sensations changent complètement. Les changements de fond, qui lèvent ou adoucissent les vagues se ressentent aussi énormément. Je découvre un rapport d’une extrême sensualité avec la mer : plus près, presque en elle, nous nous caressons littéralement et le kayak s’efface presque, ce qu’un bateau fait rarement.
Nous rentrons, contents de notre premier baptême « agité ». Une dimension est cependant tout à fait absente de nos premiers tours en kayak, le froid. Et en mer, ça change tout.
Le soir nous rejoignons Marseille où Frédéric reprend le train vers Paname. Je découvre Marseille, heureux de trouver le quartier de la belle Mercedes sur une carte de la ville - les Catalans, impressionné par l’étendue de la ville. Paris à quelque chose en trop, dont un jour elle viendra à bout : le périphérique qui la coupe de sa banlieue, qui en fait une capitale rabougrie et muséifiée. Mais il manque à Paris ce qui fait Marseille, et que ma ville n’aura jamais : un port maritime. Il faut avoir navigué un peu, et donc être arrivé un peu pour prendre la mesure de l’importance d’un port pour une ville.
Mercredi 7 mai 2008
Estelle Coromp et Guillaume François, amis d’Alexandre, moniteurs de kayak et guides de randonnée nous rejoignent. Commence alors une initiation, pour Alexandre, Christophe et moi, aux fondamentaux du kayak en mer. Les calanques en guise de terrain d’entraînement. Ayant longtemps pratiqué l’athlétisme sur d’obscures pistes cendrées de la grande couronne, je vous assure qu’il y a pire comme lieu d’entraînement. Qu’un euphémisme est idiot à coté d’une photo...
Entre deux calanques, nous pénétrons dans une grotte par une ouverture bien petite : il faut attendre une vague favorable pour se glisser d’un coup. Christophe, en sortant, à tâté la roche de la poitrine.
La mer est un peu formée, mais je remarque une caractéristique que sans doute nous rencontrerons souvent en Patagonie, lorsque les cotes sont abruptes : puisque nous naviguons souvent près de ces cotes, nous sommes soumis à une houle particulièrement irrégulière, fruit des interférences de la houle du large avec sa réverbération sur la terre. Le résultat, ce sont des sortes de paquets d’eau qui jaillissent comme à l’improviste, sans aucun ordre établi et qu’il faut donc souvent gérer au dernier moment. J’imagine qu’en Atlantique nous rencontrerons, face à des cotes de plages, des houles régulières.
Après avoir déjeuné au fond d’une calanque, nous reprenons la mer. Dans une autre calanque nous ferons une pause et nous livrerons à des exercices de sauvetage. Guillaume nous montre comment récupérer un coéquipier qui barbote, comment vider son kayak et l’aider à remonter à bord. Nous tentons ensuite des esquimautages, avec succès. Le kayak de mer « s’esquimaute » très bien. Y compris sans jupe et à moitié rempli d’eau (l’axe de rotation longitudinal ne doit, logiquement, pas beaucoup se déplacer). Je me demande ce que donne un esquimautage par gros temps, lorsque le retour à l’endroit se fait au milieu d’un chaos de pentes liquides et d’écume.
Jeudi 8 mai 2008
Passons sur les joies et insomnies propres aux auberges de jeunesse... nous en sommes au dernier jour. Guillaume et Estelle décident de nous amener vers l’île de Riou, en partant de l’hallucinant village des Goudes, 8eme arrondissement de Marseille, stéréotype du village de pécheurs méditerranéen. Mais nous sommes en ville. Il faut imaginer... disons le centre de Pont-Aven à la place du Ministère des finances pour se rendre compte.
Belle traversée. Je suis maintenant tout à fait confortable dans mon embarcation, le milieu fait tout... L’île est une sorte de paradis pour goélands, qui, c’est le propre des paradis, sont redevenus agressifs envers les hommes.
Tandis qu’Alexandre s’en va tâter du col entre les deux sommets de l’île, je préfère l’observation de la cinquantaine de personnages ostentatoires et luisants qui occupent toute la petite plage où nous avons accosté. L’activité en vogue pour les males semble être de multiplier les allées et venues dans l’eau pour repositionner les ancres des hors-bord qui ont servi à amener femmes et enfants jusque là.
Guillaume nous propose de faire le tour de l’île. Je sens bien que le vent, de l’autre côté, ne doit pas être bien clément. Nous faisons cap au nord, puis, dès que nous passons un cap, nous sommes face au vent d’est.
Lorsque nous doublons le cap est de l’île, la houle monte, le vent redouble de puissance. Premiers contacts avec une mer taquine. J’ai plus l’impression de « fuir » que de naviguer, c’est-à-dire de parer au plus pressé en forçant sur les pagaies que de gérer les vagues comme Guillaume, avec grâce et aisance. Mais les rasades d’embruns, voire les véritables sceaux d’eau qui me fouettent le visage distillent suffisamment d’adrénaline pour ne jamais me sentir en surchauffe. Un kayak est vraiment bas sur l’eau, tout prend des dimensions importantes. A l’estime, je dirais que nous avions un petit 4 Beaufort, sans doute en partie accentué par la proximité des hautes falaises (réverbération, hauts fonds et donc houle et vent accéléré par effet Venturi contre la falaise). Quoi qu’il en soit, je suis sur qu’en habitable la situation ne serait pas agréable, quelle que soit l’allure. Les kayaks de mer sont tout de même étonnements stables. Nous bouclons le tour en un peu moins d’une heure ; je suis content d’avoir pu mesurer les effets d’une mer un peu agitée. Hélas, nous n’avons pas de photos de ces moments : faute d’étanchéité, comme il est des fautes de goût. Que Guillaume soit ici remercié de nous avoir poussés... et guidés. Précisons également que Guillaume à sobrement dit que ce serait pas mal que nous allions faire un tour en mer lorsque les conditions seraient un peu limite. L’air de rien.
Le soir nous nous séparons des adorables Guillaume et Estelle puis rejoignons la maison des parents de Christophe, dans les terres. Nous sommes accueillis par une sorte de chien-toréador (les voitures semblent tenir lieu de taureaux d’entraînement) et par les parents en question. Ils nous servent un excellent dîner, chaleureux, avec cette délicatesse si particulière qui caractérise les gens qui savent ne pas gêner de leurs questions ni tout envahir d’un moi hypertrophié.
Retour en voiture de nuit, Alexandre dort derrière (il travaille le lendemain), mémorables conversations avec Christophe... arrivée à 5 heures du matin.
Inti