Extraits du carnet de voyage d’Inti (1)
Jours précédents : La longue attente de nos kayaks à Punta Arenas nous a permis de lier amitié avec logeurs et logés de la pension « Independencia ». Eduardo, Pamela et Roberto nous emmèneront à notre point de départ, ce sera un beau départ.
Jour 2 : Premier grand jour de navigation, plus de sept heures de pagayage. Répondre à des pourquoi n’a guère de sens, tout au plus peut-on dire comment.
Jour 3 : La vie en ville amortit les détails. Ici tout prend l’importance due. Une gourde qui s’est ouverte pendant la nuit a mouillé mon duvet. Par des températures inférieures à 5°C il a fallu faire sécher. De toutes façons, à 12 heures un vent violent se levait. Bon pour le séchage, moins pour la navigation en kayak.
Jour 4 : Les moutons sont nombreux en Patagonie, en mer aussi. Une heure trente de navigation par mer assez grosse. 18 à 20 nœuds de vent d’ouest. Intenable vu l’état de la mer. Les Indiens avaient raison de ne pas aimer, dit-on, le Seno Skyring. Température de l’air entre 0°C et 4°C. Température de l’eau : froide. Si, essentiellement, chaque être humain est seul, c’est que nous sommes uniques. Aller contre cet essentiel n’est possible qu’en aimant de façon inconditionelle. Les moments en Patagonie semblent plus éphémères qu’ailleurs.
Jour 5 : Vent trop fort, mer trop formée. Cela fait trois jours que nous sommes bloqués à terre. Les couleurs d’ici sont grises, noires, bleues, vertes, pailles. Les oiseaux, très nombreux, ne sont absolument pas effrayés à notre approche. Nous sommes réciproquement curieux, et ce martin-pêcheur qui plongera à un mètre de moi semblera très fier de me montrer son savoir-faire. Les cormorans qui ne cessent de nous survoler portent ici un élégant plastron blanc.
Jour 6 : A six heures du matin au réveil la mer semblait s’être calmée. Nous nous préparons pour partir avec le lever du soleil. Navigation difficile par 4 – 5 Beaufort. A l’estancia Skyring où nous avons fait halte, les trois employés nous ont immédiatement offert une soupe, un ragoût de mouton. Le meilleur de ma vie. De l’hospitalité à l’état brut, de la curiosité réciproque, comme si nous y étions oiseaux, sans aucune attente en retour et en sachant qu’il n’y aura pas de lendemain commun.
Jour 7 : Nous avons effectué ce jour notre premier portage. Passage de tout notre équipement et des kayaks à travers un isthme pour éviter un long détour. Journée physiquement la plus dure. Nous approchons des montagnes enneigées. Skyring continue de souffler dru. Ces premiers jours le paysage était d’une beauté dure et indifférente. Je me console dans la nostalgie des absents, mais la force de ces conjonctions de mer et de cîmes me rattrape.
Jour 8 : Au fond d’un fjord nous avons fait une incroyable rencontre : un homme de 72 ans, un géant sur un cheval gigantesque. Il habite là, nous sommes passés à côté de chez lui. Avec ses lunettes de parachutiste et son accent indéchiffrable il se rendait à Rio Verde pour quelque affaire administrative. C’est le dernier humain avant longtemps, mais ça je ne le saurai que plus tard.
Jour 9 : Ce soir nous dormons au milieu d’une sorte de marécage où poussent des champignons géants (on peut marcher dessus), dont je ne serais pas étonné que personne ne les connaissent. Nous avons commencé notre travail de titan : le portage Dynevor, continuellement enfoncés jusqu’aux genoux dans les champignons géants en tirant les kayaks. Il fait 0°C, plus humide que dans l’eau, il neige, je boirais bien une bière au chaud.
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