Inti Salas Rossenbach
Golfe du Morbihan, 5 juillet 2008
Al dente. Si notre premier choix concernant les kayaks s’était porté sur le kayak pliable, nous avons depuis évolué sur la question. Disons ouverts.
D’abord parce que le kayak pliable avance mal. En soi, ce n’est pas grave eu égard à l’esprit qui nous anime. Mais au quotidien, qui plus est si nous luttons contre les vents de temps en temps, l’impression de ne pas avancer peut être moralement épuisante.
Par ailleurs, pouvoir aller vite peut nous permettre de nous tirer d’un mauvais pas (williwaws, courants...). Je me demande aussi toujours comment peut résister un pliable à un débarquement d’urgence par gros temps, ou plus simplement à des dizaines d’arrivées... abrasives.
Enfin, le caractère « pliable » de ces kayaks ne me convainc pas vraiment pour les portages.
Nous explorons donc d’autres familles de kayaks, dont ceux en fibre. Alexandre, moi et Christophe - désormais acteur majeur de l’équipe, avons donc contacté Plasmor, le principal constructeur français de kayaks en fibre. Ils nous ont cordialement conviés à venir essayer ce que nous voulions chez eux, près du Golfe du Morbihan.
Accueil des plus chaleureux, et rapidement nous sommes autour des kayaks. Nous allons essayer le Belouga 1 et le Belouga Pelikan, tandis que Christophe opte pour un Kialivak, léger et nerveux, mais peu adapté pour une longue expédition.
Nous voilà à la Pointe d’Arradon. La météo est agitée : vent d’ouest, 6 à 7 Beaufort atteignant temporairement 8 à la pointe de la Bretagne, mer forte à très forte. Mais dans le Golfe, bien nommé « mer intérieure », le clapot ne se développe guère.
Nous embarquons et mettons cap à l’ouest. Mon Belouga Pelikan est très stable, et, malgré les conditions (il y a tout de même du vent et des moutons), ma navigation est paisible.
Ca remue un peu mais surtout, nous avons ce vent dans le nez. La prise au vent est importante, parfois gênante pour la progression. La première heure de navigation alimente un doute que j’ai vu grandir dans mon esprit ces derniers temps : un parcours contre les vents en Patagonie, du sud au nord, est-il seulement possible ? Données météo à analyser.
Le Belouga Pelikan se distingue du Belouga 1 par un renflement du pont au dessus des genoux. Conçu pour les personnes grandes et volumineuses, cet espace supplémentaire ne me semble pas offrir plus de volume en charge.
Un peu à l’ouest de l’Ile aux Moines, nous échangeons avec Alexandre nos kayaks, en mer. Le Belouga 1 offre moins de prise au vent. Il est très agréable et file à bon rythme. Pour tester la stabilité, je me mets en travers des vagues, à l’arrêt : le kayak n’en a cure et demeure très stable.
Alors que je place quelques « circulaires » (amples coups de pagaie circulaires visant à faire tourner le kayak), ma pagaie se brise. Certes, elle n’était pas de première jeunesse, la pagaie ; et certes mon coup de pagaie n’est pas des plus doux ; mais je viens d’expérimenter ce qui me semblait assez théorique : une sévère avarie de pagaie.
Pour partir en Patagonie, le choix de la pagaie sera déterminant. Résistante, elle devra aussi être adaptée au coup de pagaie de chacun. Etant sensible aux tendinites, je ne prendrai par exemple pas une pagaie en carbone : sa rigidité reporte directement toutes les vibrations (résultant des chocs et tensions sur et dans l’eau) sur les articulations.
De toutes les pagaies que j’ai essayées, celles avec lesquelles je me suis senti le plus à l’aise étaient celles en bois. Elles présentent aussi un autre avantage, celui d’être un matériau peu conducteur de la chaleur, ce qui dans le froid peut être un avantage de taille.
La possibilité de réparer une pagaie est aussi importante : envisageable sur des pagaies en bois ou fibre, elle me paraît nulle avec le carbone. Dernière et vitale conclusion de ce bris de pagaie : la pagaie de secours est indispensable en toute circonstance.
En rentrant nous faisons quelques exercices d’esquimautage et de remontée sur le kayak. Le Belouga Pelikan est difficile à remettre à l’endroit, mes jambes n’étant pas suffisamment bien calées.
Nos téléphones portables n’ont pas survécu à l’immersion dans l’eau de mer... eau qui a envahi le sac étanche que j’avais mal refermé.
Conclusion de la sortie : le Belouga 1 est un bon candidat pour notre expédition. Je me demande seulement si sa capacité en charge bateau + charge : 180 Kg) sera suffisante pour nos besoins d’autonomie.
Le soir et le lendemain nous allons chez Yann et Myriam qui nous accueillent comme des rois dans leur nouvel home sylvestre près de Lorient. Paris était encore loin.
Je n’ai toujours pas de téléphone, ce qui se vit assez bien. Douce eau salée sur laquelle on navigue et dans laquelle se prépare ce délice que sont les pates al dente. J’étais sur le point de crier à la cantonade « Ne m’appelez pas ! je n’entends rien... », mais je ne sais quelle heure il est : mon portable me donnait, en sus des voix de mes connaissances, amis et amours, l’heure. Je ne veux pas risquer de réveiller quiconque ; et la lecture est plus douce.
Inti