Ce livre ne laisse pas indifférent. On ne peut que s’ébahir d’une telle maestria littéraire et intellectuelle. Chatwin, vagabond, flâneur, promeneur infatigable, parcourt la Patagonie, argentine et chilienne, sans chemin précis, mené par des envies et des histoires entendues ici ou là. Il les relate sans ordre logique apparent, mais toujours avec une extrême minutie et une érudition documentaire colossale.
En Patagonie est une invitation au voyage, pas d’aventure, mais d’épicurien, allongé dans un transat, dans un espace décalé du temps et de l’environnement.
Certains passages sont sublimes, d’une évidente grandeur ; la vie de Butch Cassidy et Sundance Kid, les sectes de Chiloë, le migrants gaéliques… Il est à mon avis difficile de définir ce livre comme « le meilleur » ou « l’indispensable », trop atypique pour le classer. Parfois dissolu et déroutant, il ne peut laisser indifférent. Refermé, il devient très vite une référence et nourrit toutes les pensées et les réflexions que l’on peut avoir à propos de la Patagonie.

En 2004, en provenance de Patagonie chilienne, pour la première fois, je passe, en Patagonie argentine. Je relis un de mes carnets de voyage.
Extrait : « Je me souviens la première fois où j’ai vu s’étendre devant moi les plaines de Patagonie argentine. Je traversais alors la frontière chilienne au niveau de Coyhaique-Nord. Dans un car, sur la route, des heures durant je m’en suis remémoré des passages. Je n’ai jamais rencontré de livre autant en adéquation avec le paysage que je voyais. Tous les sentiments qui y sont décrits sont vrais. »

Un bijou de roman de voyage. Bruce Chatwin parcourt la Patagonie argentine et Chilienne en vagabond, flâneur, promeneur infatigable, mêlant ses rencontres et expériences à l’écho de l’histoire de ces contrées.
A la recherche du Mylodon dont un morceau de peau, dans son enfance, à fondé son mythe de la Patagonie, Chatwin croise et raconte, sans emphase, l’humanité.
Qu’il évoque des Chilotes qui, sous l’impulsion d’Antonio Soto, commémorent l’exécution du pédagogue catalan Francisco Ferrer (fusillé en 1909 en Espagne), rappelant les faits d’armes des insurgés de 1921 et les fusillades qui suivirent leur défaite ou qu’il raconte les indiens Ona de Terre de Feu, qui, sédentarisés de force mourraient en masse dans les missions censées les « civiliser », les sensations sont intenses. Sous sa plume, la terre, l’Histoire et les vivants s’entremêlent en une cathédrale absolument unique. Quelle émotion de retrouver a Punta Arenas une statue de Magellan représenté au dessus d’indiens sculptés d’après « le gaulois mourant », saisissant marbre d’un homme - gaulois - vaincu (Musée du Capitole, Rome). Des pionniers aux marins, sur les traces de Butch Cassidy et Sundance Kid pourchassés par les Pinkerton, la Patagonie s’imprime en épaisseur, en rires et en larmes, en solidarité et en cruauté. Une terre est toujours tellement plus que les plus belles images que l’on peut en voir…

Extrait
L’hôtel de Rio Pico d’un bleu turquoise pâle était tenu par une famille juive dépourvue de la plus élémentaire notion de profit […]
– Combien vous dois-je pour la chambre ?
– Rien. Si vous n’y aviez pas dormi, elle serait restée inoccupée.
– Combien pour le dîner ?
– Rien. Comment pouvions-nous savoir que vous veniez ? Nous avions fait la cuisine pour nous.
– Alors combien pour le vin ?
– Nous offrons toujours le vin à nos visiteurs.
– Et le maté ?
– Personne ne paye jamais le maté ici.
– Qu’est-ce que je peux payer alors ? Il ne reste plus que le pain et le café.
– Je ne peux pas vous compter le pain, mais le café au lait est une boisson de gringo et je vous le fais payer.

Grasset - Les Cahiers Rouges, 1977, 284 p., Français (traduit de l’anglais)

Vous pouvez écouter, et visionner, une lecture d’un extrait de ce livre de Chatwin, sur cette page.

Voir également Bruce Chatwin, photographies et carnets de voyage.