Qui se souvient des Hommes...
Jean Raspail
Une longue plainte, bien documentée, narrant la disparition des « nomades de la mer », les indiens de Patagonie, Alakalufes, Yamanas. Des passages sont poignants et sonnent juste. Mais derrière une mélancolie indéniablement poétique, j’ai ressenti un certain mépris pour des hommes que, je pense, l’auteur n’a pas compris. Le titre indique une velléité d’humanisme… las, les indiens semblent chez Raspail plus proches de l’animal que de l’humain. N’ayant introduit aucune distanciation dans son récit, le narrateur est l’auteur, et non l’occidental qui croisa le premier ces indiens, comme on ose l’espérer aux premières pages. Par exemple, aucun recul n’est pris lorsqu’il est dit, et maintes fois répété, que les indiens puent horriblement. Quel recul ? Celui d’un homme qui en donnerait, d’une façon ou d’une autre, l’explication : pour supporter les rigueurs du froid, les indiens s’enduisaient de graisse de phoque, à l’odeur particulièrement forte, mais autrement plus protectrice que les vêtements dont ils mourront lorsque les missionnaires les en habilleront (il le dit, certes, mais des centaines de pages plus loin, bien après que le sentiment que ces indiens étaient des semi-bêtes se soit installé). Autre exemple, page 94 : les femmes ne font pas l’amour ; ni même se donnent. Non. Chez Raspail, les sauvages « ouvrent les cuisses », pour la simple satisfaction de l’homme. Simple. De même, l’auteur assène comme une preuve du caractère arriéré des indiens (invoquant jusqu’à Darwin) le fait qu’ils n’avaient pas de mots pour désigner le bonheur… Pourtant, je crois que pour bien des peuples, les mots abstraits ont beaucoup moins de sens que les symboles ; Ethnologues ou linguistes nous le disent : de nombreux peuples décrivent des sentiments par des métaphores, objets ou situations, bien plus précisément que ne le font nos abstractions. Nous pourrions multiplier à l’envi les citations qui m’éloignent de ce livre ; en le regrettant, parce que si bien ce n’est pas celle que j’aime, la plume est là, tout de même.
Editions J’ai lu, 1986, 249 p., français.